Le président Trump a décidé de mettre fin au programme secret de la CIA qui vise à armer et entraîner les rebelles modérés syriens qui combattent le gouvernement de Bachar al-Assad, une décision longtemps recherchée par la Russie, selon des responsables américains.
Ce programme était un élément central de la politique entamée par l’administration Obama en 2013 pour faire pression sur Assad afin qu’il se retire, mais même ses partisans avaient remis en question son efficacité après le déploiement des forces russes en Syrie deux ans plus tard.
Des responsables ont déclaré que la suppression progressive du programme secret reflète la volonté de Trump de trouver des moyens afin de travailler avec la Russie, qui considérait le programme anti-Assad comme une attaque contre ses intérêts. La fermeture du programme est aussi une reconnaissance de l’effet de levier limité de Washington quant à son souhait de voir Assad quitter le pouvoir.
Il y a tout juste trois mois, après que les États-Unis aient accusé Assad d’utiliser des armes chimiques, Trump a lancé des frappes aériennes en représailles contre une base aérienne syrienne. A l’époque, l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Nikki Haley avait déclaré « nous ne pouvons concevoir la paix dans la région avec Assad à la tête du gouvernement syrien ».
Des responsables ont déclaré que Trump a pris la décision d’abandonner le programme de la CIA il y a près d’un mois, après une réunion dans le Bureau ovale avec le directeur de la CIA Mike Pompeo et le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster peu avant une réunion le 7 juillet en Allemagne avec le président russe Vladimir Poutine. Les porte-parole du Conseil de sécurité nationale et de la CIA ont refusé de commenter.
Après la réunion entre Trump et Poutine, les États-Unis et la Russie ont annoncé un accord quant à un nouveau cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie, le long de la frontière jordanienne, où de nombreux groupes rebelles soutenus par la CIA opèrent depuis longtemps. M. Trump a décrit cet accord de cessez-le-feu limité comme un bon en avant pour une relation de travail constructive avec Moscou.
La décision de mettre fin au programme secret pour armer les rebelles anti-Assad ne faisait pas des conditions de négociation du cessez-le-feu, qui était déjà bien engagée, ont déclaré des responsables américains, qui ont parlé de manière anonyme pour discuter du programme secret.
Les relations de Trump avec la Russie ont fait l’objet d’un examen minutieux en raison des enquêtes sur l’ingérence du Kremlin dans les élections de 2016. La décision concernant les rebelles soutenus par la CIA est saluée par Moscou, qui a concentré sa puissance de feu sur ces combattants après son intervention en Syrie en 2015.
Certains anciens et actuels hauts fonctionnaires qui ont appuyé le programme ont présenté le changement comme une concession majeure faite à la Russie.
Avec la fin du programme de la CIA, la participation des États-Unis en Syrie consiste maintenant en une vigoureuse campagne aérienne contre l’État islamique et un programme de formation et d’équipement dirigé par le Pentagone à l’appui de la force rebelle en grande partie kurde qui avance sur les bastions de l’État islamique à Raqqa et le long de la vallée de l’Euphrate. La stratégie à long terme de l’administration Trump – après la défaite de l’État islamique – semble être axée sur la conclusion d’une série d’accords régionaux de cessez-le-feu entre les rebelles soutenus par les États-Unis, le gouvernement syrien et la Russie.
Certains analystes ont déclaré que la décision de mettre fin au programme était susceptible d’habiliter des groupes plus radicaux à l’intérieur de la Syrie et de nuire à la crédibilité des États-Unis. « Nous tombons dans le piège russe », a déclaré Charles Lister, chercheur au Middle East Institute, qui concentre ses recherches sur la rébellion syrienne. « Nous rendons la rébellion modérée de plus en plus vulnérable ».
D’autres reconnaissent le rapport de force en faveur d’Assad en Syrie. « C’est probablement un clin d’œil à la réalité », a déclaré Ilan Goldenberg, ancien responsable de l’administration Obama et directeur du programme de la sécurité au Moyen-Orient au Center for a New American Security.
Selon les services de renseignement américains, les gains des groupes rebelles en 2015 avaient incité la Russie à intervenir directement du côté du régime d’Assad. Certains responsables américains et leurs alliés dans la région avaient alors exhorté le président Barack Obama à réagir en fournissant aux rebelles des armes antiaériennes sophistiquées afin qu’ils puissent mieux se défendre. Mais Obama s’y était refusé afin d’éviter tout conflit direct avec la Russie.
Des hauts responsables américains ont déclaré que ce programme clandestin serait progressivement supprimé sur une période de plusieurs mois. Il est également possible qu’une partie de l’aide soit redirigée vers d’autres missions, comme la lutte contre l’État islamique.
« C’est une force que nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner complètement », a déclaré M. Goldenberg. « S’ils mettent fin à ce programme d’aide aux rebelles, c’est une énorme erreur stratégique. »
Des responsables américains ont déclaré que la décision avait le soutien de la Jordanie, où certains des groupes rebelles ont été formés, et semblait faire partie d’une stratégie plus large de l’administration Trump afin de se concentrer sur la négociation d’accords de cessez-le-feu locaux avec les Russes.
Plus tôt ce mois-ci, cinq jours après le premier cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie, Trump a indiqué qu’un autre accord était en cours de discussion avec Moscou. « Nous travaillons sur le deuxième cessez-le-feu dans une partie très dangereuse de Syrie. Si les négociations aboutissent ainsi que quelques autres, tout à coup, nous n’aurons plus de balles tirées en Syrie. » a dit M. Trump.
Un des plus grands risques de la fin du programme de la CIA est de voir les États-Unis perdre leur capacité à bloquer d’autres pays, comme la Turquie ou ses alliés du golfe Persique, de faire passer des armes plus sophistiquées – notamment des MANPADS – aux rebelles anti-Assad, y compris aux groupes les plus radicaux.
Vers la fin de l’administration Obama, certains responsables avaient préconisé de mettre fin au programme de la CIA arguant que les rebelles seraient inefficaces sans un soutien accru américain. Mais le programme avait toujours l’appui d’une majorité parmi les principaux conseillers d’Obama, qui soutenait que les États-Unis ne pouvaient pas abandonner leurs alliés sur le terrain et renoncer à l’opposition modérée en raison des dommages qu’elle causerait à la position des États-Unis dans la région.
Même ceux qui étaient sceptiques quant à la viabilité du programme à long terme le considéraient comme une monnaie d’échange importante pouvant être utilisée pour arracher des concessions à Moscou dans les négociations sur l’avenir de la Syrie.
« Les gens ont commencé à penser à mettre fin au programme, mais ce n’était pas quelque chose que vous feriez gratuitement », a déclaré un ancien fonctionnaire de la Maison-Blanche. « Abandonner le programme sans obtenir quoi que ce soit en retour serait stupide. »
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Washington Post, par Greg Jaffe et Adam Entous, le 19 juillet 2017)