Moscou tente de persuader le reste du monde de normaliser les relations avec Assad.
La Russie a lancé une campagne visant à associer les pays occidentaux au travail humanitaire dans les zones contrôlées par le gouvernement syrien afin de persuader le reste du monde de renouer des relations normales avec le président Bachar al-Assad après la guerre.
Les forces d’Assad, appuyées par l’aviation russe, ont repris le contrôle de la plus grande partie du sud-ouest de la Syrie, une région qui était l’une des dernières poches de résistance acquise à la rébellion.
Les gains sur le champ de bataille signifient que M. Assad contrôle la majeure partie du pays, et Vladimir Poutine veut mettre fin à l’intervention militaire russe qui a fait basculer la guerre en sa faveur. Mais pour ce faire, le dirigeant russe doit obtenir le soutien de la communauté internationale pour aider au retour des réfugiés et à la reconstruction massive d’un pays dévasté par sept années de conflit civil.
« Pour Moscou, il est important d’entraîner progressivement d’autres pays dans des initiatives qui constituent de facto une collaboration avec Assad » a déclaré Nikolai Kozhanov, expert russe du Moyen-Orient à l’Université européenne de Saint-Pétersbourg. « Les pays occidentaux ont fait preuve d’une forte résistance dans le passé. Mais en Europe, les gens sont beaucoup plus enclins à reconsidérer cela que nous ne le pensons ».
Il y a des signes qui montrent que les efforts de Moscou commencent à porter leurs fruits. L’armée russe a fourni de l’aide médicale française à l’est de Ghouta, banlieue près de Damas, que les forces du régime ont repris en avril après des semaines de bombardements gouvernementaux dans la région et une attaque chimique présumée à Douma. C’est la première fois qu’un pays de l’UE accepte de soutenir un territoire contrôlé par M. Assad, cela fait suite à un accord entre le président français Emmanuel Macron et M. Poutine.
Kozhanov a déclaré que Moscou considérait l’aide humanitaire comme un « tremplin » vers la question plus importante de la reconstruction. « Poutine a besoin de l’Europe pour cela parce que la Russie ne veut pas payer » a-t-il ajouté.
Moscou fait également pression sur les États-Unis et d’autres pays occidentaux pour qu’ils se joignent à ce qu’elle dit être un objectif de renvoyer certains des 6 millions de Syriens qui ont fui le pays vers des zones contrôlées par M. Assad.
Après les entretiens de M. Poutine avec Donald Trump la semaine dernière, le ministère russe de la défense a déclaré que Moscou s’attendait à travailler avec Washington sur le retour des réfugiés et le financement de la reconstruction. Il a déclaré que M. Poutine et le président américain sont parvenus à un accord sur ces questions lors de leur sommet d’Helsinki. La Maison-Blanche a refusé de commenter les propositions spécifiques que la Russie prétend avoir faites. Toutefois, un responsable américain a déclaré que les deux parties espéraient faire des progrès sur les questions discutées à Helsinki dans les mois à venir.
La Russie intensifie également sa campagne en Europe occidentale, où les dirigeants subissent des pressions politiques intérieures pour réduire le nombre de migrants. Angela Merkel, chancelière allemande, s’est entretenue cette semaine à Berlin avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov et Valery Gerasimov, chef de l’état-major russe. Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que les discussions ont porté sur la question de la « création de conditions pour le retour des réfugiés » en Syrie. La Russie a établi un quartier général à Moscou pour coordonner le rapatriement des réfugiés syriens, dont le personnel est composé de fonctionnaires russes de la défense et du ministère des affaires étrangères, mais il est ouvert aux représentants étrangers.
Mais les analystes disent que Moscou est trop optimiste en prévoyant que les régions syriennes les moins touchées par la guerre pourraient absorber le retour de 336 000 personnes et que jusqu’à 600 000 autres pourraient retourner dans d’autres régions au cours des trois aux six prochains mois. De nombreux réfugiés syriens hésitent à rentrer chez eux car ils craignent les représailles du régime d’Assad.
Moscou fait néanmoins des progrès
« Le monde occidental se demande encore si Assad a vraiment gagné comme s’il s’agissait d’une surprise. En étant là depuis sept ans, il a déjà gagné. Il contrôle 65% du pays et nous nous demandons toujours si nous devons traiter avec Assad ou non ? » a déclaré un diplomate arabe
Certains voisins de la Syrie ont également changé de cap. La Jordanie, qui soutenait auparavant les rebelles syriens mais qui doit faire face à des défis économiques croissants, veut exporter des marchandises vers l’Europe via la Syrie et la Turquie. Ces espoirs pourraient être renforcés par les avancées des forces de M. Assad, qui ont repris ce mois-ci le poste frontière de Nassib avec la Jordanie, ce qui pourrait conduire à la réouverture d’une route commerciale vitale.
Au Liban, qui accueille un million de réfugiés syriens – soit l’équivalent du quart de sa propre population – les autorités ont clairement indiqué qu’elles voulaient que les gens retournent en Syrie. Le bureau du Premier ministre libanais a déclaré cette semaine que Beyrouth espérait que l’initiative du Kremlin résoudrait ce qu’il qualifie de « crise des réfugiés ».
La Turquie, autrefois l’un des principaux bailleurs de fonds des rebelles syriens, a également changé de priorités, en grande partie à cause de l’émergence d’une enclave kurde à sa frontière. La position changeante du président Recep Tayyip Erdogan a été motivée par l’hostilité croissante de l’opinion publique à l’égard des 3,5 millions de réfugiés syriens en Turquie. M. Erdogan a eu des entretiens intensifs avec la Russie et l’Iran, les principaux alliés de M. Assad. « Nous ne sommes pas d’accord avec ce qu’ils font en Syrie, mais nous croyons que nous devons travailler ensemble » a déclaré un haut responsable turc.
Emile Hokayem, analyste à l’International Institute for Strategic Studies, a déclaré que cette mutation était susceptible de conduire à une « normalisation par enchevêtrement » avec le régime Assad. Mais il a ajouté que le chemin vers la normalisation allait « être chaotique », notant qu’il y avait encore des sanctions américaines et européennes à l’encontre de la Syrie. « Les gouvernements occidentaux font une différence entre la normalisation et la réhabilitation – ce n’est pas pour demain. Mais accorder la priorité à une transition politique à partir d’Assad, donner la priorité à la reconstruction à petite échelle et au retour des réfugiés piégera les gouvernements occidentaux dans un processus où leur influence diminuera inévitablement. Ils préféreraient ne pas le faire, mais ils ont perdu les moyens de faire autrement ».
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Financial Times, le 26 Juillet 2018)