Les forces de sécurité syriennes ont imposé des mesures renforcées à l’intérieur de l’aéroport de Damas et ses abords au cours d’une nuit de la dernière semaine du mois de juin,. Peu avant minuit, un avion privé des Emirats Arabes Unis (EAU) a atterrit sur le tarmac. Quarante minutes après sortait un imposant convoi de 4×4 noirs transportant les passagers de l’avion en direction de Mazzeh (au centre de Damas) où se situe le nouveau bureau de Ali Mamlouk, le chef du bureau de la Sécurité Nationale syrienne. Parmi ses invités, un officier américain de haut rang qui était à la tête d’une délégation de plusieurs officiers de différents services et agences de renseignements américains.
Mamlouk a accueilli la délégation américaine accompagné du chef de la Direction Générale des Renseignements Généraux, le général Dib Zeitoun, ainsi que le vice-chef d’état-major, le général Muwafaq Asaad. La rencontre entre les deux parties s’est déroulée pendant quatre heures.
Que s’est-il dit ?
Selon les informations qu’a pu se procurer al-Akhbar, les deux parties ont passé en revue les différents aspects de la crise syrienne, les étapes de son développement et des conséquences sur la région, avant d’entrer dans le vif du sujet. A savoir une proposition américaine claire et précise : les Etats-Unis seraient prêts à retirer la totalité de leurs troupes du territoire syrien, y compris de la base d’al-Tanf, ainsi que la région orientale de l’Euphrate. Cependant, les américains ont demandé à Damas en échange de convenir à trois revendications :
- Un retrait total de l’Iran du Sud de la Syrie.
- L’obtention d’engagements écrits garantissant aux entreprises américaines des parts dans le secteur pétrolier dans les régions orientales de la Syrie.
- Fournir aux américains tous les renseignements au sujet des groupes terroristes et leurs membres, le nombre de morts étrangers ainsi que ceux toujours en vie qui seraient susceptibles de retourner dans les pays occidentaux, sachant que le « péril terroriste s’inscrit dans l’intérêt de la sécurité internationale ».
La réponse syrienne
Les syriens se sont adressés « avec sang-froid » aux américains et leur proposition « alléchante ». La réponse de Mamlouk au sujet des trois points exposés a été claire :
Premièrement, « vous êtes en Syrie une force d’occupation. Vous êtes rentrés par la force sur notre territoire sans notre assentiment et vous pouvez quitter le pays de la même façon. Et même dans ce cas, nous continuerons à vous traiter comme une force d’occupation ».
Deuxièmement, « la Syrie n’est pas un pays isolé, il fait partie d’un grand axe. Notre position concernant l’Iran est claire, et le président Bachar al-Assad l’a répété lors de plusieurs discours. Votre proposition ne changera rien à notre alliance avec Téhéran, le Hezbollah et les forces alliées qui ont combattu les terroristes à nos côtés ».
Troisièmement, « notre priorité après la guerre est de coopérer avec les pays alliés et amis qui n’ont pas conspiré contre le peuple syrien. Il n’est donc pas envisageable pour nous de faciliter l’implémentation d’entreprises originaires de pays qui nous ont fait la guerre et continueront à le faire ». Cependant, Ali Mamlouk a dit « qu’il était possible de revenir sur ce dernier point lorsque le gouvernement aura établi sa politique concernant la reconstruction. Alors des entreprises américaines auront la possibilité de faire leur entrée dans le secteur syrien de l’énergie via des entreprises occidentales ou russes. Nous considérons cela comme un procédé de bonne intention en réponse à votre visite ».
Quatrièmement, concernant les informations sur les groupes terroristes, Mamlouk a attiré l’attention de ses visiteurs sur le fait « qu’il un an environ, le directeur adjoint des Services de Renseignements australiens m’a rendu visite ici à Damas. Il avait alors assuré que vous étiez au courant de sa visite et qu’à un certain point, il vous représentait. Il avait demandé des informations concernant les islamistes australiens d’origine arabe qui combattent dans les rangs des groupes terroristes. Je vais vous réitérer ce que je lui avais dit : Nous détenons une somme d’informations considérable sur ces groupes terroristes qui s’est amoncelée tout au long du conflit. Nous comprenons parfaitement les dangers que ces personnes représentent pour vous comme pour nous. De même que nous comprenons combien vous avez besoin de ces informations et qu’il est nécessaire de conserver le contact même en période de crise. Nous avons déjà fourni des renseignements aux services jordaniens et à d’autres pays dont les EAU. Mais notre position à ce sujet est aujourd’hui conditionnée à une évolution de position politique sur la Syrie, son régime et son armée. Par conséquent, la Syrie n’entreprendra aucune coopération ni coordination sécuritaire avec vous à ce sujet avant de parvenir à la stabilité dans les relations politiques entre les deux pays ».
La réunion s’est achevée en convenant de garder le contact via le canal russo-émirati avant que le convoi de voitures noires ne fasse son retour à l’aéroport de Damas.
« De sa Majesté le Roi à son frère Monsieur le Président »
Début juillet, alors que l’armée syrienne récupérait le point de passage de Nassib, l’armée jordanienne déployait des renforts à la frontière syrienne pour empêcher toute nouvelle vague de personnes déplacées tentant de rentrer sur le territoire jordanien. Amman a joué un rôle important pour convaincre les groupes armés qui contrôlaient le point de passage depuis 2015 d’accepter les conditions de capitulation. Des contacts syro-jordaniens de haut niveau ont eu lieu à l’époque pour opérer la coordination, dont un contact entre le chef d’état-major jordanien, le général d’armée Mahmoud Freihat, et le chef du bureau de la sécurité nationale le général Ali Mamlouk, lors duquel le premier demandait au second de « transmettre les salutations de sa Majesté le Roi Abdallah à son frère le président Bachar al-Assad ». Al-Assad avait accusé Amman de préparer l’envoi de forces dans le Sud de la Syrie en coordination avec les américains lors d’un entretien télévisé en avril 2017, qualifiant ainsi la Jordanie « comme faisant partie du plan américain depuis le début de la guerre en Syrie ». De même que la Jordanie était le siège des opérations de la MOC qui prenait en charge la coordination des attaques de groupes armés contre l’armée syrienne dans le Sud.
« Des réparations dans l’ambassade des Emirats Arabes Unis »
Les Emirats Arabes Unis ont récemment envoyé « une équipe de maintenance » à son ambassade dans la capitale syrienne, faisant ainsi part de la possibilité de reprendre « une activité » au sein de celle-ci. Cette décision fait suite à la reprise du trafic aérien entre le gouvernorat de Lattaquié et de l’Emirat d’al-Charjah en mai dernier après une interruption de plusieurs années. Notons que l’ambassade syrienne à Abu Dhabi n’a jamais fermé ses portes et que la section consulaire a continué d’assurer ses services à la communauté syrienne exilée aux Emirats Arabes Unis.
Malgré la rupture diplomatique déclarée au début de la crise pour répondre à la pression des saoudiens, les deux pays ont conservé un certain degré de contact, au travers des gouverneurs de Dubaï Mohammad Ben Rachid al Maktoum et de Fujaïrah le cheikh Hamad Ben Mohammad al-Charqi. De même que madame Bouchra al-Assad, la sœur du président syrien et veuve du général Assef Chawkat le directeur des services de renseignements militaires syriens, réside à Dubaï avec ses enfants depuis septembre 2012 sous protection policière.
On sait que le volume des investissements des EAU en Syrie dépassait les 20 milliards de dollars avant 2011. Au début de la crise syrienne, les Emirats avaient opté pour une position prudente vis-à-vis de la « révolution syrienne » avant de glisser vers l’agenda saoudien. En mars 2016, le ministre des affaires étrangères des EAU Abdallah ben Zayed al Nahian avait appelé à mettre définitivement un terme à la crise syrienne par le biais d’une solution politique globale. Cette « distinction » des Emirats est à mettre sur le compte de l’hostilité d’Abu Dhabi pour les frères musulmans et le développement des relations entre les Emirats et la Russie.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (al-Akhbar, par Wafiq Qanso, le 28 Août 2018)