Chroniques du « 7 octobre syrien »

Défilé des combattants du groupe Hay’at Tahrir al-Cham dans la mosquée des Omeyyades à Damas, suite à l’effondrement du gouvernement syrien (source : x/Twitter)

Le déroulement des événements en Syrie a pris de court la plupart des observateurs, y compris les gouvernements. À mesure que la situation évoluait, il est apparu que même les factions armées responsables de l’attaque du 27 novembre dernier avaient été surprises par l’ampleur des résultats obtenus sur le terrain. Cet assaut fulgurant, qui a permis aux militants de s’emparer d’Alep en moins d’une journée, a profondément influencé les développements politiques qui ont suivi.

Sommet de Doha et processus d’Astana

Au sommet de Doha, tenu les 7 et 8 décembre 2024 et réunissant les acteurs du processus d’Astana, les participants ont été contraints de reconnaître la réalité dictée par les événements. La discussion sur un arrêt des combats a vu la Turquie exiger, et réussir à obtenir, un engagement mutuel avec la Russie et l’Iran : aucune action militaire directe ne serait entreprise pour soutenir le gouvernement syrien, en échange d’une réciprocité turque. Cependant, la situation sur le terrain montrait que les Turcs n’avaient pas besoin d’envoyer des forces ni d’apporter un soutien logistique ou aérien, contrairement à ce qui était attendu.

Dès que la Russie et l’Iran ont informé Bachar al-Assad qu’ils ne participeraient pas activement aux affrontements, ce dernier a compris que la perte de la Syrie était imminente. Ses tentatives pour compenser leur absence se sont révélées vaines, car ses forces dépendaient largement du soutien direct de ces deux alliés. L’intervention limitée du Hezbollah visait uniquement à protéger certains intérêts et à aider des civils à fuir les villes ciblées. Dès le départ, les combattants du Hezbollah avaient déclaré qu’ils ne pouvaient pas se battre à la place de l’armée syrienne, qu’ils considéraient comme mal préparée.

Préparations des factions armées

Des mois avant l’attaque, les factions armées avaient commencé à préparer une opération militaire qu’elles considéraient comme une réponse aux violations par le régime du processus d’Astana. À la mi-juin, des dirigeants influents parmi ces factions ont évoqué une « réciprocité des intérêts » : la Turquie prévoyait une opération contre les Kurdes pour limiter leurs aspirations séparatistes, et les factions armées se sont dites prêtes à contribuer à cet effort, en échange du soutien turc pour reprendre Alep.

L’intensification de l’agression israélienne contre le Liban et Gaza a également poussé Ankara à s’inquiéter de la possibilité qu’Israël exploite la situation pour renforcer sa présence en Syrie. Un responsable turc a déclaré : « Nous sommes confiants qu’Israël ne peut atteindre Beyrouth, mais il lui serait facile de marcher sur Damas. »

Les négociations turco-syriennes

Dans ce contexte, Ankara a exploré des solutions politiques. Recep Tayyip Erdogan a transmis, via des médiateurs, une offre de réconciliation urgente avec Assad, assortie de propositions économiques telles que la transformation d’Alep en une zone industrielle libre pour contourner les sanctions. En retour, la Turquie demandait à Assad d’initier des réformes politiques permettant aux principales forces d’opposition de participer au gouvernement.

Assad a fermement rejeté cette proposition, exigeant un calendrier pour le retrait des forces turques du territoire syrien. En parallèle, il travaillait avec des alliés arabes, comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Egypte, pour éviter de céder aux pressions turques tout en explorant des moyens de se distancer de l’Iran.

Assad avait confiance dans la capacité d’Abou Dhabi à améliorer ses relations avec les États-Unis et certains pays européens. Selon un ancien collaborateur d’Assad, resté à ses côtés jusqu’aux dernières heures avant son départ de Damas, le président syrien espérait toujours qu’un événement majeur viendrait stopper l’offensive des factions armées, convaincu que la « communauté arabe et internationale » préférait son maintien au pouvoir à une prise de contrôle par les islamistes.

En septembre, leurs dirigeants avaient annoncé qu’ils organiseraient le « 7 octobre syrien »

De leur côté, les factions armées comptaient sur l’effet de surprise pour remporter rapidement la bataille d’Alep et avancer vers le nord de Hama, où elles prévoyaient une confrontation décisive. En septembre, leurs dirigeants avaient annoncé qu’ils organiseraient le « 7 octobre syrien », et leurs préparatifs sur le terrain reflétaient cette ambition. La Turquie s’efforçait de prévenir tout conflit entre Hay’at Tahrir al-Cham et l’Armée nationale syrienne, tout en redoutant que les factions armées opérant dans le sud, soutenues par la Jordanie, et financées par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, « ne sabotent le projet ».

L’effondrement de l’armée syrienne

Face à l’effondrement soudain des forces gouvernementales, les factions armées ont d’abord concentré leurs efforts sur Alep avant de se redéployer vers le sud pour contrôler Hama. Pendant ce temps, les services de renseignement turcs encourageaient la défection des officiers de l’armée, facilitant même leur déplacement vers des zones sûres, en Syrie ou à l’étranger. Des « inconnus » ont aussi récupéré des documents importants dans les quartiers généraux du régime abandonnés.

La gestion turque des événements

La Turquie, surprise par la rapidité de l’effondrement du régime, a dû ajuster ses plans en temps réel. Grâce à son immense influence personnelle sur la majorité des leaders de l’opposition syrienne en Turquie et à ses relations directes avec plusieurs commandants actifs sur le terrain, le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan « a repris temporairement ses fonctions de chef des renseignements » pour superviser directement les opérations, assisté par l’actuel directeur, Ibrahim Kalin. Il a également veillé à la transformation du chef de Hay’at Tahrir al-Cham, Abou Mohammad al-Jolani, en un acteur plus modéré, lui demandant notamment de se débarrasser de son apparence extrémiste.

Une transition difficile

Aujourd’hui, la Syrie est dans une période de transition encore incertaine. Les factions armées ne disposent ni des ressources militaires pour contrôler tout le pays ni d’un consensus clair sur la gouvernance. Les divisions internes et l’absence de coordination entre les groupes dispersés compliquent la formation d’un gouvernement de transition, tandis que le peuple syrien, démuni, cherche désespérément une figure capable de diriger.

Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence. Par Ibrahim al-Amin, rédacteur en chef du journal libanais al-Akhbar. La version originale de cet article a été publiée le 18 décembre 2024 sur al-Akhbar.com en arabe «وقائع «7 أكتوبر السوري».

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