Un diplomate arabe raconte que l’ambassadeur du Maroc au Liban, Al-Mouthaqqaf Ali Omlil a réuni il y a quelques temps, dans sa demeure marocaine, l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, l’ancien ministre Tareq Metri, Rima Khalaf, le président du Comité de coordination syrien à l’étranger, Haytham Mannaa et d’autres. Le cas du cheikh Ahmad Al-Assir commençait à prendre de l’ampleur à Saida, et était proche de la confrontation. Mannaa demanda alors à Siniora : « Comment toi, fils de Saida, peux-tu laisser Al-Assir faire ce que nous voyons maintenant ? ». Et Siniora de répondre : « Ne nous avez-vous pas dit, dans l’opposition, que vous feriez bientôt chuter le régime ? Vous nous avez bernés. ». Mannaa rît puis répondit : « Moi je n’ai pas dit cela, et je n’ai donné aucune échéance… ».
Il s’agit là d’une des nombreuses versions qui se sont tissées à l’époque où les Américains, les Français, les Britanniques, les Qataris, les Saoudiens et autres, parlaient de la chute imminente du régime du Président Bachar Al-Assad.
Le Président du parlement Nabih Berri pourra-t-il sans doute nous conter, en détail, le dialogue qui eut lieu à Doha entre lui et l’ancien Premier ministre du Qatar, le cheikh Hamad ben Jassem Al Thani. L’ancien homme fort de l’émirat assurait à l’homme politique libanais chevronné que Assad ne tiendrait guère plus d’un moins ou deux, et que l’on pourra célébrer sa chute avant la fin du ramadan. Berri lui conseilla de ne pas exagérer. Sauf qu’à l’époque, personne n’écoutait les conseils. Et Assad ne chuta pas.
L’ancien député arabe à la Knesset israélienne, Azmi Bchara, était fort enthousiaste, lui aussi, à l’idée d’un effondrement imminent du Président Assad. Certains racontent que lors de la grande réunion, en juillet 2011, qui réunît les chefs de l’opposition syrienne à l’hôtel Ritz de Doha, il assurait que les contacts avec les principaux pays occidentaux étaient déjà faits et que l’opposition, où qu’elle se rende, serait reconnue, ajoutant que l’heure d’Assad avait sonné. Mal lui en a pris. Et dire que son centre d’études publie actuellement les livres les plus importants sur la Syrie. Et Assad n’est pas parti.
Le Président turc Recep Teyep Erdogan affirmait quant à lui en septembre 2012 : « La prière à la Mosquée des Omeyyades de Damas et la visite du tombeau de Saladin sont désormais proches ». Il a mal jugé, malgré son implication dans le calvaire syrien. Et c’est Assad qui est retourné à la Mosquée des Omeyyades pour y faire la prière, il n’a pas tombé.
Il y a quelques années, l’ancien Président français Jacques Chirac affirmait la même chose, à l’époque où il travaillait de concert avec les Américains à l’adoption de la résolution 1559. Il assurait que la chute d‘Assad n’était qu’une question de temps. Et avant lui, le Secrétaire d’Etat américain Colin Powell. Débarqué dans la région, après l’occupation de l’Irak, fondée sur un mensonge qui coûté la vie à un million et demi de personnes, et sans manquer de présomption, il menaçait Assad qu’il lui arriverait la même chose s’il ne fermait pas le bureau du Hamas et des autres organisations palestiniennes, ne rompait pas ses relations avec le Hezbollah et ne cessait pas son soutien à la résistance irakienne, tout en l’amadouant sur le nouveau rôle central de la Syrie dans la région dans le cas où il coopérerait. Assad refusa. Et il n’est pas tombé.
La même chose s’est produite avec le Président Barack Obama. Le maître de la Maison Blanche est même allé jusqu’à fixer le moment des frappes militaires pour mettre à bas le régime Assad. Certains racontent que le Président syrien, la nuit où les Américains étaient supposés frapper ses forces, a veillé à appeler un par un chacun de ses collaborateurs pour s’assurer de leur sort. Il semblait, comme à l’accoutumée, étrangement calme, plaisantant même avec certains.
Et de même que l’on ne compte plus les déclarations, en 2011, sur l’imminence de la chute d’Assad, on ne compte désormais plus celles sur la survie du régime syrien et des institutions de l’Etat. La dernière en date étant celle prononcée par le directeur de la CIA, John Brenan, qui a dit ce que pense la majorité des pays de l’OTAN, à savoir qu’un accord avait été trouvé avec la Russie pour sauvegarder les institutions de l’Etat et éviter que le terrorisme ne les détruise, ce même terrorisme qui revient vers l’Occident.
Et voilà que le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry en personne, affirme ce que tous ont tu depuis longtemps : « Nous allons être contraints de négocier avec Assad », arguant que les négociations auront lieu dans le cas d’une transition politique. Le monde se rappelle ce qu’a lancé il y a peu l’émissaire onusien Staffan Di Mistura : Al-Assad fait partie de la solution.
Qu’est-ce qui a changé ?
Ni Assad, ni ses alliés. Qui d’entre nous ne se souvient des propos du député Walid Jumblatt revenant de Moscou : « J’ai rencontré le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov et lui ai dit qu’il fallait un règlement politique en Syrie et que Bachar Al-Assad s’en aille. Il m’a répondu qu’il n’y a pas de solution sans Bachar ». Et depuis que la Syrie a accepté de remettre son arsenal chimique, les Russes ont convaincu les Américains que l’Etat syrien est la base essentielle. Le président de la commission des affaires étrangères et de la sécurité nationale au Parlement iranien, Aladdin Borojourdi, affirma à ce propos que les Américains avaient informé l’Iran qu’ils ne s’opposaient pas à ce que Assad reste deux ans, espérant toutefois la non-tenue des élections, craignant les résultats.
Un responsable russe raconte que quand Lavrov rencontra plusieurs figures de l’opposition au milieu de la guerre en Syrie, Aref Dalileh lui demanda : « Pourquoi défendez-vous Assad ? ». Et lui de répondre, avec son habituelle intelligence : « Lorsque vous arriverez jusqu’au palais présidentiel, je n’enverrai pas d’avions pour le défendre ». Le message était clair. Et les Russes l’on répété des dizaines de fois : pas d’abandon d’Assad sans alternative à l’Etat.
La tragédie de l’opposition
L’opposition a sans doute elle-même exprimé ce changement, et d’autres avant elle. Comme, par exemple, le président de la Coalition syrienne, Khaled Khojeh (turkmène, il est détenteur de la nationalité turque et on dit de lui qu’il fait partie de l’AKP, malgré ses démentis à ce propos), qui exprime deux positions intéressantes. La première, exprimée lors d’une entrevue avec le quotidien qatari Al-Watan (24 février 2015) ; la seconde avec le journal britannique The Guardian, selon lesquelles les Etats amis de l’opposition adoptent une position attentiste et que l’opposition a eu tort dans ses calculs et ses paris. Ainsi, des pays tels que les Etats-Unis, ou la Grande-Bretagne se montrent pusillanimes, faisant figure de « feuille de papier » devant le soutien d’acier de l’Iran au régime syrien.
Avant lui, d’autres pays occidentaux et arabes avaient commencé à traiter avec rigueur l’opposition, évitant de fournir des visas à ses membres. Le responsable au sein du Comité de coordination, Khaled Issa, a même fait l’objet d’une perquisition et a été retenu deux jours. A voir la rareté des aides financières accordées à l’opposition, l’on comprend vite que le vent est en train de radicalement tourner.
Oui, la communauté internationale a abandonné l’opposition car elle n’a plus confiance en ses capacités. Oui, elle l’a abandonnée car ses intérêts ne convergent plus avec cette fragilité, après avoir laissé le champ libre à toutes formes de terrorisme. Oui, elle l’a abandonnée car elle a décidé que maintenant, il n’est plus possible de lutter contre le terrorisme sans l’armée et les institutions syriennes. Et sans cette armée, le front sud avec Israël pourrait s’ouvrir à toutes les éventualités. Et enfin, elle l’a abandonnée, car elle donne désormais la priorité aux négociations avec l’Iran.
Assad maître des décisions
Il est important de rappeler toutes ces choses. C’est la présence de Bachar Al-Assad à la tête du régime qui l’a sauvé. Il n’a jamais été cet homme « coupé de la réalité ». Il est paru extrêmement froid. Il a tenu ses nerfs même dans les circonstances les plus sombres, comme lors de l’attentat au siège de la Sécurité nationale. Il a parié sur le temps. Il a décidé depuis le début que, quoi qu’il fasse, quoi qu’il cède politiquement, le but n’est autre que la destruction méthodique de la Syrie. Il a renforcé son alliance avec l’Iran, le Hezbollah, la Russie et d’autres pays d’Amérique du Sud et des BRICS. Il a mené une guerre dure et dangereuse contre le terrorisme. Ceux qui affirment qu’il n’est pas maître des décisions internes ne connaissent rien à la composition de l’homme, ni de ses positions. Ceux qui affirment pareilles choses ne comprennent pas combien la situation a été, à certains moments, sensible, lorsque des officiers et responsables de haut rang livraient des pans entiers de territoires en l’échange d’argent ou pour des raisons confessionnelles.
Quant à ceux qui affirment que sans l’Iran et le Hezbollah, le régime serait tombé, l’on peut également dire que sans l’armée syrienne, Assad et son équipe, le Hezbollah et l’Iran – voire la Russie – n’auraient pas joué de si grands rôles. Casser le maillon syrien était l’étape la plus importante pour achever l’encerclement de l’Iran et de la Résistance. En conséquence, personne d’autres ne connaît mieux cette coopération stratégique si ce n’est ceux qui l’a font.
Le régime a tenu, et il a survécu. C’est important pour lui et ses alliés. Mais qu’en est-il de la Syrie ? Voilà le plus important.
Il est vrai que l’Etat syrien attire le plus de gens devant l’expansion du terrorisme sous ses formes les plus atroces. Il est également vrai qu’une grande part de sunnites et des autres composantes syriennes combattent aux côtés de l’armée syrienne. Il est vrai aussi qu’une bonne part des classes bourgeoise, industrielle et commerciale sunnites demeurent aux côtés d’Assad. Et il est également vrai que le prix de la survie s’est révélé écrasant : la plupart des territoires syriens sont détruits. Les pertes humaines s’élèvent à 250 000 personnes. La reconstruction pourrait coûter 200 milliards de dollars, et les fissures sociales et confessionnelles sont importantes.
Le régime n’est pas innocent de tous ces maux. Il porte également une responsabilité de sang, de destruction et de larmes. Il a eu tort en méprisant l’opposition dès le début, car elle comprenait certaines personnes à même de jouer un rôle important. Il a échoué à gagner quelques Etats arabes, qui ont fini par constituer un front contre lui. Il a également coupé la plupart de ses relations avec l’Occident, et a contribué à faire jouer à l’Iran un grand rôle au sein des pays arabes. Mais rappelons-nous qu’Assad, depuis le début de la crise, s’est peu soucié de ce qui se trame dehors, considérant comme décisive la bataille de l’intérieur. Inversement, la Coalition s’est intéressée exclusivement à l’étranger, croyant que les chars dudit étranger reviendraient vers l’intérieur. La Coalition s’est morcelée et Assad est resté. La survie du régime est importante, mais le retour de la Syrie l’est encore plus. Une réconciliation nationale globale est indispensable, quoi qu’en fussent les sacrifices. Assad est désormais devant une occasion historique. C’est peut-être ce que signifiait M. Kerry hier, malgré toutes les pincettes.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Al-Akhbar, par Sami Kleib, le 16 mars 2015)
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