Les voix du peuple s’élèvent pour réclamer une confiscation des investissements et des biens du Golfe en Syrie, en compensation d’une partie ce que l’on appelle les conséquences du soutien du Golfe aux rebelles : les tueries, le sabotage et la destruction des infrastructures et des ressources nationales. D’autres s’essayent à deviner l’avenir de ces investissements, après la dégradation des relations entre les deux parties, jusqu’à arriver à une étape que d’aucuns qualifient de « déclaration de guerre ».
La Syrie faisait figure, pendant plus d’une décennie, de porte d’entrée politique et économique idéale pour les investissements des fonds du Golfe. Les relations étaient d’une part « chaleureuses » entre Damas et les pays du Golfe, bien que ternies çà et là par quelques froideurs, tout en restant bonnes malgré tout jusqu’aux premiers mois du début de la crise.
D’autre part, la Syrie a fourni plusieurs occasions économiques « en or », difficiles à laisser s’envoler entre les mains de concurrents, et que dire si ce concurrent n’est autre que l’Iran ?
La Syrie a de ce fait réussi à attirer les grands investissements du Golfe, dont la plupart se répartissaient sur trois secteurs principaux : l’immobilier, le tourisme et les services financiers. Certains de ces investissements ont été mis à exécution, quand d’autre étaient au stade d’achèvement, dans l’attente d’obtenir des autorisations, surmonter les entraves et les difficultés bureaucratiques. Le déclenchement de la crise et son glissement progressif vers une guerre destructrice ont tout mis à l’arrêt, jusqu’à que l’on commençât à parler de l’avenir des investissements et des biens du Golfe dans le pays. Et ce, d’autant plus à l’aune de l’évolution de la position des pays du Golfe et la réaction de certains Syriens, qui réclament la confiscation pure et simple desdits investissements et biens, en guise de compensation des dégâts causés par le soutien du Golfe à l’endroit des rebelles, et les tueries, sabotages et destructions qui s’ensuivirent.
Une perte pour les deux parties
Les statistiques officielles montrent une supériorité des investissements du Golfe sur leurs homologues arabes et étrangers. L’autorité syrienne des investissements révèle en effet que la valeur des investissements de trois pays du Golfe – à savoir l’Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats – ont atteint, de 1991 à 2014, plus de 118 milliards de livres syriennes. Le professeur à l’université de Damas Abderrahim Abou Al-Chamat affirme même que « la valeur des investissements du Golfe sont estimés à des milliards de dollars, répartis sur les différents secteurs économiques, ne se limitant guère au tourisme ou à l’immobilier, mais s’étendant dans l’industrie, l’énergie, la technologie et les services financiers ». Il ajoute dans un entretien à Al-Akhbar que ces investissements « ont contribué pour la Syrie à pallier sa capacité somme toute limitée à attirer les investissements étrangers directs (FDI). Cela apparaît également dans le rapport de l’investissement mondial de l’année 2011, publié par la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (ONCTAD). Selon le rapport, la valeur des investissements étrangers directs en Syrie a atteint environ 1304 millions de dollars en 2010, constituant un reflux par rapport aux années 2009 et 2008 et leurs 1434 et 1467 millions de dollars respectifs. L’ancien directeur au Plan au sein du ministère du Tourisme et enseignant à l’Institut de formation touristique, Salah Kharbatli, indique pour sa part que les investissements du Golfe dans le secteur du tourisme sont « des investissements assez considérables et constituent la plus grande part, aussi bien d’un point de vue du coût estimé, que de celui de la superficie ou de la concentration dans des régions peuplées. Mais en réalité, ceux-ci étaient teintés dès leur présentation d’une certaine hésitation et sujets à des marchandages, rendant de ce fait difficile de les concrétiser ».
Et comme c’est déjà le cas pour les investissements et biens appartenant à des Syriens ou à des étrangers, la plupart des investissements du Golfe ont été victime de dommages directs et indirects suite à la guerre en cours, et en fonction de la proximité ou au contraire de la distance avec le théâtre des batailles et accrochages, mais aussi de la nature de leur travail et leur impact avec les émanations de la guerre et des sanctions du Golfe. Ce sont là des pertes qui jusqu’à présent n’ont pu être officiellement comptabilisées, et dont le volume n’est pas encore estimé, mais les victimes de ces pertes ne sont pas exclusivement du Golfe : l’économie syrienne a elle aussi été durement frappée. Selon Abou Al-Chamat, « la partie syrienne est le plus grand perdant avec la sortie de plusieurs investissements du Golfe et la cessation d’exécution d’une autre partie d’entre eux, au vu du contraste existant entre les économies des deux parties. De même qu’il n’est guère aisé pour l’économie de compenser les pertes en attirant des investissements d’autres pays au vu des circonstances peu adéquates, comme les sanctions imposées par les parties principales de la puissance mondiale comme les Etats-Unis et l’Union européenne ». Il n’exclut pas qu’avec la poursuite du reflux de la rente économique et de l’augmentation des pertes, les investissements du Golfe fassent l’objet de davantage de pressions et qu’ils ne vendent leurs parts d’investissements économiques pour sortir du marché syrien. C’est ce qui s’est passé lorsque la Bank Saudi-Fransi décida de vendre sa part, d’une valeur de 27% de BEMO, banque considérée comme la plus grande banque privée de Syrie ».
Il semble que ces pressions ne se limitent guère plus aux comptes économiques des parties détentrices de ces investissements. Selon Kharbatli, « après le déclenchement de la crise syrienne en 2011, et avec les positions politiques négatives à l’égard de la Syrie de la part de pays détenteurs des offres, ces projets sont à l’arrêt et certains d’entre eux n’ont d’ailleurs même pas débuté. Et des voix se sont élevées pour réclamer l’abrogation de ces projets ». Il ajoute à Al-Akhbar que « ce sujet est important et qu’il faut l’examiner à un haut niveau national, car porteur d’une nature politique, économique et sociale et il faut qu’il se fasse par le biais de commissions spécialisées et d’experts qui proposent les décisions qu’il s’impose de prendre, qu’il s’agisse d’annuler certains projets ou de les exposer aux citoyens syriens avec un soutien ».
De la loi
Ce que proposent les économistes et ce que réclament les activistes de l’opinion publique ne s’accordent guère avec les comptes des juristes. En effet, ceux-ci regardent le dossier d’une fenêtre légale, avec les contrats signés avec les investisseurs du Golfe et qui protègent les investissements, les biens et leur continuité, et ce à quoi veille le gouvernement syrien. Selon l’avocat Naïm Aqbiq, chercheur en droit international et en droit international humanitaire, « les lois concernant les investissements et la propriété des Arabes dans l’immobilier n’ont pas changé et sont toujours en vigueur. Le gouvernement syrien a même promulgué davantage de consignes et de mesures afin d’empêcher toute falsification ou vol de propriétés appartenant aux Arabes, en soumettant les agences privées de vente et d’achat à des autorisations sécuritaires, par exemple ». L’avocat Aqbiq ajoute qu’il y a « un seul cas où le gouvernement a pris des mesures légales à l’encontre d’une des entreprises du Golfe, et dont l’implication dans le soutien et le financement des groupes terroristes était clairement avérée. En revanche, de nombreux projets du Golfe ont continué leur activité économique de façon habituelle sans encombre, ni problème, comme les hôtels, ou les banques ». Plus encore, certains avocats, avec à leur tête Aqbiq, ont soumis une proposition au ministère de la Justice stipulant de la nécessité que soient adressées les notifications légales au citoyen de l’Etat investisseur ou au propriétaire foncier si celui est arabe ou étranger, et non pas au siège de la structure ou du bien foncier en Syrie, afin d’empêcher usurpation et falsification.
Les Emirats en tête
Les Emirats arrivent en tête des investissements achevés et non-achevés du Golfe en Syrie. La valeur financière de leurs engagements a en effet franchi la barre des 20 milliards de dollars avant 2011. La ville de « Bounian » dans la région de Jabal Al-Cheikh en banlieue de Damas est à ce titre un des investissements émiratis les plus coûteux, et ce projet comprend hôtels et complexes résidentiels sur une ligne d’investissement atteignant les 15 milliards de dollars sur 12 ans, à compter de 2006, début du projet. De même que l’entreprise « Iimar Al-Iiqariah », sise à Dubaï, a lancé le projet « Al-Bawwaba Al-Thamina » (le huitième portail), nom donné à un hôtel touristique, à des commerces, des tours, des bureaux, des tours résidentielles et des villas, pour un coût de 3,4 milliards de dollars. La même entreprise dispose également du projet « Tilal Dimashq », qui institue la ville numérique de Damas en technologie de l’information et qui comprend un ensemble de villas et d’appartements résidentiels, ainsi que des bureaux et des centres commerciaux pour un montant d’un demi-milliard de dollars. L’homme d’affaire émirati Majed Al-Fatim a quant à lui obtenu des autorisations d’investissement dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, des infrastructures et des services financiers, à l’image du projet « Khams Chamat », non loin de Yaafour, et qui est censé englober un centre commercial moderne, des hôtels, des appartements et des bureaux pour un coût d’un milliard de dollars. Les travaux ont débuté en 2010.
Quant au Qatar, il est en tête des investissements du Golfe dans le secteur financier, avec pour illustration la possession de plus de 50% par la National Bank of Qatar de sa branche syrienne (National Bank of Qatar – Syria) et qui officie avec un capital de 300 millions de dollars. La Islamic International Bank of Qatar détient elle 30% de la Islamic International Bank of Syria. Les investisseurs qataris sont considérés comme les premiers porteurs d’actions de la Bank Al-Cham al-Islami.
Les investissements koweïtiens ne sont pas en reste au vu de leur importance et de leur diversité. On compte le projet du groupe al-Khourafi pour la production et la commercialisation de ciment, d’une valeur de 100 millions de dollars. Le même groupe possède la gestion de l’hôtel Bloudan Al-Kabir à Damas, ainsi que le Sheraton d’Alep. Une seule entreprise a donc injecté des fonds considérable à elle seule dans l’économie syrienne.
Concernant les investissements saoudiens, mentionnons le groupe Kingdom holding, appartenant au prince Al-Walid ben Talal, titulaire du projet du Four Season, un des plus importants hôtels de luxe de la capitale syrienne, inauguré en 2006 avec un investissement estimé à 100 millions d’euros.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Al-Akhbar, par Ziad Ghosn, le 27 juillet 2016)