La Russie s’est accaparée, grâce à l’entreprise StroyTransGaz, la production du phosphate syrien en signant un contrat pour une durée de 50 ans. Les besoins de la Russie – quatrième producteur de phosphate au monde – en phosphate syrien demeurent cependant une énigme, et ce particulièrement après avoir évincé la concurrence iranienne.
Selon le directeur général de la société publique de phosphate et des mines, Ghassan Khalil, la production de phosphate en Syrie a atteint en 2018, 200 mille tonnes par mois, soit 2,4 millions de tonnes par an, avec une capacité de production pouvant aller jusqu’à 5 millions de tonnes par an. La production de la Syrie à partir des roches de phosphate a atteint les 2,5 millions de tonnes en 2010, avant de diminuer aux premières années de la révolution, jusqu’à son arrêt avec la mainmise de l’Etat islamique sur les champs de Khanifis et al-Charqieh dans la campagne orientale du gouvernorat de Homs.
La domination de l’entreprise russe sur la production de phosphate syrien est intervenue après que la Russie se soit emparée – avec l’aide des Forces du Tigre – des champs de Khanifis et al-Charqieh à Palmyre, arrachés aux milices iraniennes qui avaient pris possession de la région après avoir chassé l’organisation de l’Etat islamique. Ces milices iraniennes s’étaient emparées en 2017 des champs de phosphate après la visite à Téhéran du président du Conseil des ministres syrien Imad Khamis, visite lors de laquelle il octroya aux sociétés iraniennes les droits d’extraction du phosphate. Mais les Forces du Tigre sont soudainement intervenues, évinçant ainsi de Syrie les milices iraniennes de la deuxième plus grande réserve arabe de phosphate.
Un responsable de la Société syrienne publique de Géologie avait affirmé dans les médias que l’accord s’était fait avec la compagnie russe, qui détient la possibilité de produire et d’investir dans le phosphate en Syrie, sur la base d’un partage de la production. Il a précisé que « la part de la Société syrienne s’élève à 30%, avec le rachat à l’Etat syrien de son droit sur les quantités de phosphate produites, ainsi que le paiement des concessions des terres et des autorisations », en plus des dépenses induites par la supervision de la Société, les impôts et les autres taxes s’élèvent à 2%, pour une durée de 50 ans, pour une production annuelle d’environ 2,2 millions de tonnes de roche dont la réserve géologique atteint les 105 millions de tonnes.
La société StroyTransGaz, spécialisée dans le pétrole et le gaz, n’est pas un nouveau venu sur le marché syrien. Elle a fait son entrée en 2005 avec l’exécution de « la ligne de gaz arabe », elle s’est également accaparée le projet d’usine de gaz au sud de la région centrale. Mais que des secteurs syriens vitaux soient ainsi livrés à la Russie en allant jusqu’à brusquer ouvertement l’Iran – et que le régime contredise un accord de principe avec l’Iran concernant l’investissement dans le phosphate – suscite des interrogations sur la véritable intention de la Russie.
Officiellement, les motifs justifiant l’intérêt de la Russie vis-à-vis du phosphate syrien est à mettre en rapport avec son intention d’augmenter ses réserves de phosphate, estimées à 700 millions de tonnes, avec une production annuelle de 12,5 millions de tonnes pour 2017.
L’intérêt de la Russie pour le phosphate syrien aurait cependant davantage rapport avec un composant secondaire du minerai : le cadmium. Il s’agit une substance cancérigène présente dans le phosphate. Les inquiétudes de l’Union européenne en matière sanitaire devant l’élévation des taux de cadmium l’avaient déjà poussée à limiter la quantité des résidus de cadmium autorisés dans les engrais phosphoriques.
La Russie monopolise le marché des engrais dans l’Union européenne, profitant de sa production de sédiments du phosphate apatitique, faible en cadmium.
Des sources informées ont affirmé à al-Modon que le phosphore syrien se distinguait également par sa faible teneur en cadmium, oscillant entre 3 et 5 ppm. Cela représente une importante raison pour la Russie de s’intéresser au phosphate syrien, en dépit du faible volume de production syrien comparé à celle-ci.
La Russie tire profit de l’augmentation de son stock de phosphate syrien, pour faire face aux défis de la concurrence sur le marché des engrais à l’intérieur de l’Union européenne, et pour éviter une augmentation des risques des éléments chimiques toxiques sur la qualité du phosphate exporté vers l’Union européenne. De nombreux indicateurs ont fait état d’une arrivée du phosphate syrien, produit par la Russie, sur les marchés européens.
Le journal Al-Watan, détenu par Rami Makhlouf, rapportait en mars 2018, les propos du directeur général de la Société publique de phosphate et des mines, Ghassan Khalil, selon lesquels « la société a commencé à exporter des quantités de sa production vers le marché européen ». Il est fort à parier que des sociétés intermédiaires en Russie réexportent le phosphate syrien vers le marché européen, après les sanctions européennes interdisant de traiter « directement avec le gouvernement du régime » dans les champs militaire, pétrochimique et les dérivés du pétrole.
Un motif supplémentaire pour la Russie de s’emparer du phosphate syrien est à prendre en compte : lors du processus de transformation du phosphate en engrais, un second composant se produit, l’uranium radioactif. Le phosphate syrien comprend en théorie un taux d’uranium de 300 grammes par tonne, selon les sources d’al-Modon. Un taux élevé si on le compare aux autres types de phosphate, dont la part d’uranium ne dépasse guère les 200 grammes par tonne. Selon les sources d’al-Modon, on ignore par quel procédé l’uranium est extrait du phosphate, et si les ingénieurs syriens arrivaient à l’extraire avant le conflit.
L’ampleur du secteur du phosphate russe pousse à se demander si la Russie désire vraiment diversifier ses sources de phosphate, ou si elle a monopolisé le droit d’extraction du phosphate syrien à d’autres fins pour tirer profit d’une faible teneur en cadmium et d’un fort taux d’uranium par tonne.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (al-Modon, le 01 août 2018)