Des observateurs au sol affirment que lors de l’opération de Jisr Al-Choughour, la coordination entre les unités d’élite et l’armée syrienne, Souqour As-Sahra et la Garde révolutionnaire a souffert de nombreuses difficultés, ayant conduit à des décisions inadaptées et à un redéploiement hâtif vers les lignes arrières, ainsi qu’à un retrait nécessaire pour sauver ce qui peut l’être en soldats et en équipements.
Il n’est guère un secret que les options disponibles qui s’offrent à la direction syrienne se font de plus en plus limitées avec la poursuite de la guerre, où l’armée syrienne combat, selon un décompte depuis deux ans, sur plus de 476 fronts. Le choix de faire appel à la réserve – auquel a eu recours l’armée syrienne pour la dernière fois lors de la guerre d’Octobre- est toujours reporté, pour des raisons politiques mais aussi pour le moral général. Les membres de la 102è session d’enrôlement combattent en effet depuis leur appel à la conscription, depuis quatre ans. Cette session est considérée comme la plus grande session d’enrôlement obligatoire dans l’histoire de l’armée syrienne, et constitue le noyau essentiel, après les pertes essuyées lors des batailles. En effet, plus de 150 000 appelés sont venus après un décret républicain exemptant les retardataires du services miliaire de toute sanction.
La mobilisation dans le Nord syrien semble sans précédent quant à la présence iranienne et irakienne en Syrie depuis le début de la guerre il y a quatre ans. Il est possible d’affirmer qu’un amassement de ce niveau revient à casser les ententes irano-turques non-déclarées et qui prescrivent d’éviter les affrontements directs et à découvert entre les deux pays en Syrie et d’exporter la bataille entre eux sur le sol syrien, après que les Turcs ont transformé le Nord syrien en champ de bataille ouvert à toutes les forces régionales hostiles à Téhéran et à Damas, particulièrement après la formation de Jaych Al-Fath, sous commandement turc et financement saoudien et la visite effectuée dernièrement par le Prince héritier saoudien Mohammad ben Nayef à Ankara le 6 avril dernier, mettant fin à la rupture et aux différends avec Ankara autour de la question des Frères musulmans.La réconciliation a été consacrée par le financement de l’Arabie saoudite et du Qatar de l’Armée de la Conquête et l’inclusion d’unités fréristes, comme Faylaq Al-Cham, Ajnad Al-Cham, Jaych Al-Sunna, Liwa Al-Haqq au sein de Jaych Al-Fath, aux côtés de groupes qaïdistes dirigés par les services de renseignements turcs, comme Jounoud Al-Cham, les Tchéchènes, le Hizb Al-Islami du Turkistan (région à l’extrême Nord-ouest de la Chine et à dominante turque), les Ouïghours, Jound Al-Aqsa, Ahrar Al-Cham, ou Jabhat Al-Nosra, qui fait face à des choix difficiles au sein de cette coalition, la contraignant à reporter l’annonce de son « émirat » idlibite et à partager son influence dans le nouveau foyer turc en laissant une prééminence à Jaych Al-Fath et en laissant les Turcs parier sur un élargissement du spectre de la guerre en direction d’Alep.
Des sources arabes affirment que les Iraniens, qui ont hésité, après la chute d’Idlib, à préparer une contre-offensive et qui ont mal estimé les plans turcs dans le Nord de la Syrie, considèrent désormais le front syrien comme une priorité dans la confrontation ouverte depuis l’Irak, en passant par le Qalamoun libanais et le Yémen. Il semble que les attaques en chaîne lancées par Daech et Jaych Al-Fath dans le nord d’Idlib et d’Alep, et au centre via Palmyre, et la mobilisation vers le Sud-Est de Souweida, indiquent une certaine baisse de confiance des Iraniens envers la coalition contre Daech pour soustraire la Syrie de ses plans. Non pas parce que la conférence de la coalition contre l’organisation takfiriste, qui se tient aujourd’hui à Paris, est limitée à l’examen des fronts irakiens, mais parce que les Américains et la coalitions ont joué un grand rôle dans la chute de Palmyre. Car sans l’entrée de Daech à Ramadi et son contrôle d’Al-Anbar, la « conquête de Palmyre » n’aurait pas pris la voie qu’elle a prise contre l’armée syrienne en plein cœur de cette région centrale, et qui menace maintenant le gouvernorat de Souweida depuis sa campagne orientale ainsi que la région centrale et Homs, de même qu’elle menace de percer un dernier couloir, depuis la campagne de Homs, Al-Qeriatein, Mouhin et Sadad, du Qalamoun oriental vers le nord de la Bekaa libanaise.
Jaych Al-Islam combat dans l’Est du Qalamoun les avant-gardes de Daech pour préserver son influence dans la Ghouta et par ambition de rester la principale force qui arrivera à Damas, si jamais le régime venait à s’effondrer.
La coalition avait laissé Daech évacuer 7000 combattants syriens armés par l’intermédiaire de Raqqa et Deir Ezzor pour prendre le contrôle de Ramadi sans résistance, ce qui a précipité son retour, via des voies d’approvisionnement d’une longueur de 600 km, sans que ses colonnes ne soient exposées à quelconque bombardement ou opposition, ou même de transmission de renseignements sur ses déplacements par le canal irakien. Sans la chute de Ramadi, « l’Etat islamique » n’aurait pas transféré rapidement ses troupes vers Al-Sakhna et Palmyre ne serait pas tombé.
Il est également clair que l’objectif américain ne vise guère plus qu’à l’endiguement de Daech pour le regrouper vers la Syrie, ce qui explique l’initiative de « l’Etat islamique » d’ouvrir le front Nord d’Alep, tirant profit du retrait des groupes armés opéré par les Turcs, vers Idlib, qui est devenue la plus grande concentration d’armes et d’hommes en Syrie.
Il semble que les Turcs ne soient pas les seuls, avec Jaych Al-Fath, à viser une entrée à Alep. Couper les routes d’approvisionnement en s’emparant de Souran et Marea et en se dirigeant vers Azaz et le poste-frontière de Bab Al-Salameh, qui constitue le point de passage du matériel et de l’approvisionnement à destination des groupes armés, est un message fort selon lequel Daech ne permettra pas aux Turcs de s’approprier seuls l’établissement de « l’émirat idlibito-aleppin » pour ses moudjahidin, ou quelconque région sûre, où Daech n’aurait pas le premier mot, d’Al-Anbar, en passant à Mossoul jusqu’à Alep.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (As-Safir, par Mohammad Ballout, le 2 Juin 2015)