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L’histoire complète de la décision russe d’intervenir militairement en Syrie

L’histoire complète de la décision russe d’intervenir militairement en Syrie : un émissaire de Khamenei à Moscou, Assad pour un secours rapide, Poutine y répond favorablement.

Il y a cent ans à la même époque, l’accord Sykes-Picot commençait à se tisser, et avec lui, la division des influences aux pays du Levant, dans un partenariat franco-anglo-russe. Mais l’arrivée des Bolcheviks au pouvoir en Russie les ont poussés à dénoncer l’accord secret, et avec lui le ministre des Affaires étrangères du Tsar, Sergueï Sazonov, était partie prenante.

Ces jours-ci, un nouveau Sykes-Picot se tisse avec du sang et de la poudre, sur le même tissu. Quant aux acteurs, ils n’ont pas grandement changé, si l’on remplace le nom de l’Américain John Kerry à la place de l’Anglais John Sykes, et le nom de Sergueï Lavrov en lieu et place de Sergueï Sazonov. Il s’agit là d’une lutte d’influence, pas d’une lutte de frontières. La décision russe de s’engager dans la guerre en Syrie n’est pas le fruit de l’émotion, ni de l’improvisation. C’est là l’expression d’une accumulation qui a atteint son paroxysme le jour où l’Occident a décidé de se heurter à la Russie dans sa chasse gardée, à savoir l’Ukraine.

Parallèlement aux négociations de Vienne, les concertations étaient ouvertes entre Moscou, Téhéran et Damas. Les Iraniens ont affirmé qu’ils avaient apporté le maximum possible pour défendre le régime syrien, « mais la situation sur le terrain ne va pas bien. L’armée syrienne fatigue et il y a une manque patent et en augmentation de carburant. Le danger grandit ».

Khamenei envoya un haut émissaire à Moscou vers la fin du printemps. A la fin de cette visite, le Président Vladimir Poutine prît la décision d’intervenir en Syrie, mais demanda un laps de temps pour étudier le côté opérationnel. Khamenei envoya le chef de la Brigade Al-Quds, le général Qassem Soleimani, à Moscou, dans ce qui fut une première visite, entourée du plus grand secret. Les Russes formèrent un comité chargé d’évaluer la situation en Syrie sous tous ses aspects politiques et militaires, alors que les Iraniens déposaient, dans le même temps, leurs conclusions sur le bureau du « chef » (Soleimani, ndr). Les vues russes et iraniennes se rencontrèrent en de nombreux points, dont celui qui reconnaît que l’armée syrienne « est capable de garder l’initiative dans les régions vitales », d’autant que les groupes terroristes « contrôlent des régions classées pour moitié comme désertiques ou semi-désertiques et sans valeur d’un point de vue militaire ou stratégique ».

Parmi les conclusions communes, figure également celle que le Président Bachar Al-Assad détient toujours le contrôle des institutions militaires et sécuritaires et de la plupart des institutions de l’Etat syrien. Il les contrôle comme jamais auparavant, d’autant qu’il n’a jamais été enthousiasmé par l’idée des milices de « défense nationale » auxquelles les Iraniens ont eu recours afin d’alléger la pression qui pèse sur l’institution sécuritaire.

Le 26 juillet, Qassem Soleimani arrive à Moscou, emmené par un convoi composé d’un seul véhicule, le transportant de l’aéroport de Moscou au Kremlin, où Vladimir Poutine, le ministre russe de la défense Sergueï Choïgou ainsi que de hauts gradés russes l’attendent. L’on appellera cette séance « la séance des cartes », que celles-ci soient posées sur les tables ou projetées sur des écrans géants. Ces cartes n’ont passé sous silence aucun coin de Syrie, ni ses frontières, ni les centres de domination du régime, ni la répartition des groupes armés, particulièrement ceux proches des frontières turques, libanaises, jordaniennes, irakiennes et palestiniennes. La plupart des décisions stratégiques ont été prises lors de cette séance, pour que les officiers des deux pays, en coordination avec les forces du régime syrien, assurent ensuite le suivi des données sur le terrain.

Le 26 juillet 2015, alors que l’avion de Qassem Soleimani quittait le ciel russe, Bachar Al-Assad apparaissait, le même jour, à la télévision, depuis le Palais du peuple à Damas, pour annoncer, dans sa fameuse et entendue déclaration, que l’armée syrienne était fatiguée et qu’elle souffrait d’un manque de ressources humaines, demeurant cependant capable de triompher du terrorisme.

Cette apparition constitua l’introduction indispensable au message envoyé par la direction syrienne à l’endroit de la direction russe, exhortant l’intervention de la Russie dans la guerre contre le terrorisme. Plus d’un mois et demi s’est écoulé depuis l’initiative russe avant que ne s’ouvrent des canaux de dialogue avec le prince Mohammad ben Salman à Riyad, lors d’une visite effectuée par le général Ali Mamlouk. Il apparut par la suite que la direction syrienne l’avait intentionnellement exposée dans les médias, ce qui provoqua les Saoudiens, plus spécifiquement Mohammad ben Salman, qui affirma aux Russes que jamais plus il ne serrerait la main d’un symbole du régime Assad.

Dans cet océan de préparatifs, Moscou envoya plus plusieurs tankers au port de Lattaquié, conformément aux demandes pressantes et consécutives du ministère syrien du Pétrole.

Un recoupement de renseignements eut lieu entre Iraniens, Russes et des sources européennes, faisant état d’une préparation en cours, au sein des chambres d’opérations turques, d’une offensive sur Alep et Homs, en passant par la route Beyrouth-Damas, « prélude à de larges raids sur la capitale syrienne et à un assaut prévu pour octobre, en plus d’une large offensive avec pour objectif de prendre le contrôle de Homs et de pénétrer, depuis Sahl Al-Ghab, dans les abords de la ville côtière de Lattaquié.

Les concertations irano-russo-syrienne s’intensifièrent au niveau militaire, avec de nombreuses visites de délégations syriennes à Moscou et de délégations russes à Damas, avec échange régulier de renseignements entre Téhéran et Moscou. Le débat s’était étendu à ce moment à l’intérieur des institutions russes, avec pour finalité de traduire la décision secrète prise début juin d’intervenir en Syrie.

Mi-août : Poutine préside une séance détaillé du conseil de sécurité nationale russe ayant avalisé le plan russe proposé par l’état-major et comprenant les principaux points suivants :

  • Construction d’une base aérienne près de l’aéroport de Lattaquié, comprenant son extension et son équipement avec le matériel nécessaire.
  • Œuvrer de façon indépendante dans l’espace aérien syrien.
  • Renforcement des moyens de défense aérienne en Syrie.
  • Envoi progressif d’avions de combat en quantité suffisante et de divers types pour accomplir entièrement les missions requises militairement (un plafond de 700 avions a été institué).
  • Renforcement de la base navale de Tartous à l’aide de 11 navires navals, agissant depuis la flotte en Mer Noir arrimée dans la base de Sébastopol.
  • Soutien et équipement de la base aérienne proche de l’aéroport militaire de Mazzeh, non-loin de Damas.
  • Soutien à l’aéroport d’entraînement militaire près d’Alep.
  • Renforcement du pont aérien continu entre Moscou et Damas et Moscou et Lattaquié pour la fourniture en arme, munitions et équipement.

Poutine assura lors de cette réunion que « les frappes aériennes contre les groupes terroristes pourraient les paralyser pour une période déterminée sans pour autant les éradiquer. Il est par conséquent indispensable d’agir également au niveau terrestre. Sur ce point précis, je fais confiance aux Iraniens et au général Soleimani et à ses engagements. Il m’a tenu une promesse, celle que sa présence sera fondamentale avec les forces de l’armée syrienne qui prendront en main les opérations terrestres ».

Poutine informa les participants à la réunion que « les opérations seront toutes gérées par le ministère russe de la Défense à Moscou, pour qu’un lien direct soit ensuite institué entre la chambre d’opérations en Syrie et la chambre d’opérations ici, par l’intermédiaire des satellites militaires russes ». Les forces militaires russes en poste en Syrie reçoivent les ordres exécutifs de la chambre d’opérations en Syrie, dont la coordination est opérée par des officiers syriens, russes, iraniens et du Hezbollah. Une chambre d’opérations sécuritaires commune à Bagdad a également pour fonction d’échanger les renseignements au sujet des groupes terroristes entre l’Irak, la Syrie, l’Iran et la Russie. Il y a actuellement environ 4000 officiers, soldats, experts et techniciens russes sur le sol syrien (1000 commandos russes pour la protection de la base militaire), nombre susceptible d’augmenter dans le cadre d’un contour déterminé, mais ces personnels n’auront aucun rôle dans les opérations terrestres.

Dans ce contexte, les Russes ont procédé, en coordination avec les Syriens et les Iraniens, à l’extension de l’aéroport de Lattaquié pour en faire la plus grande base militaire aérienne du Moyen-Orient capable d’accueillir 7000 membres. Les pistes d’atterrissage de cet aéroport ont été également étendues à une largeur de 100 mètres pour pouvoir permettre le décollage de huit avions en une seule fois. Cela signifie que chaque avion peut décoller de ce tarmac en l’espace de trois minutes et se trouver à une hauteur très élevée en 35 secondes seulement, sans oublier la mise en fonctionnement du système de missiles de défense anti-aérienne ultrasophistiqué S-400, capable de protéger l’espace aérien de l’aéroport.

Pour les Russes, l’étape actuelle est une étape d’exécution des opérations aériennes dont la cadence ira grandissante de jours en jours pendant deux mois, sans aucune pause, afin d’opérer un réajustement substantiel dans la balance des forces militaires sur le terrain en Syrie, et c’est de la responsabilité de l’armée syrienne, de la Garde révolutionnaire, du Hezbollah et d’autres groupes irakiens, jusqu’à ce que la priorité soit de prendre le contrôle total de la campagne méridionale d’Idlib, de soutenir l’aile orientale des forces syriennes à Sahl Al-Ghab et de faciliter la progression en direction de Jisr Al-Choughour afin de reprendre la ville puis de sécuriser la capitale Damas et toutes les routes stratégiques y menant, y compris la route Beyrouth-Damas ainsi que le reste des lignes d’approvisionnement principales de l’armée syrienne.

Qu’y a-t-il plus loin que ces objectifs ? Quelles sont les probabilités militaires et les finalités politiques posées par les Russes ? A suivre.

Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (As-Safir, le 20 octobre 2015)

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