Les Turcs renforcent leur ouverture vers une métamorphose diplomatique à l’égard de la Syrie. La diplomatie qui commence à prendre vie petit à petit après cinq ans de guerre assure que les Turcs s’apprêtent à un tournant à l’égard de la Syrie. Le Premier ministre turc Binali Yildirim a affirmé à ce propos : « Nous avons normalisé nos relations avec la Russie et Israël », ajoutant : « Maintenant, si Dieu le veut, la Turquie a pris une initiative sérieuse pour normaliser les relations avec l’Egypte et la Syrie ».
Les Russes s’orientent vers une direction similaire. Ils opèrent un rapprochement vers une entente avec les Américains au sujet de la Syrie. Il est vraisemblable qu’ils se soient entendus avec eux sur un des éléments essentiels qui constituaient la première ligne de front entre eux, et la clef de la guerre en Syrie : Alep.
Le Président Vladimir Poutine a révélé ce qui s’est répété depuis des mois, à savoir que la Russie et les Etats-Unis sont sur le point de parvenir à un accord. Poutine, qui s’entretenait avec l’agence Bloomberg, a également redéfini l’obstacle qui empêchait la formulation d’ententes avec Washington, qui « ne s’oppose pas à la nécessité de séparer ce que l’on appelle l’opposition modérée d’une part, des organisations extrémistes et organisations terroristes d’autre part, mais les Américains ignorent comment nous pourrions réaliser cela ».
Les Russes pensent que le règlement de la guerre en Syrie s’appuie avant tout en enlevant aux Etats-Unis l’utilisation qu’ils font de Jabhat Al-Nosra et Ahrar Al-Cham dans le cadre de leur stratégie d’usure avec leurs alliés dans le Nord syrien. Al-Nosra et Ahrar Al-Cham ont en effet formé le duo via lequel le quartette qataro-américano-turco-saoudien est entré dans la bataille du Nord syrien, en particulier à Idlib en mars dernier, mais aussi Alep, qui demeure l’entrée de toutes les solutions et tous les règlements en Syrie. Le duo salafiste-djihadiste et « frériste » de certains éléments d’Ahrar Al-Cham constitue le tiers des groupes qui combattent l’armée syrienne, dans la campagne d’Alep et Idlib et une part essentielle aux côtés du parti islamique du Turkestan (PIT), ainsi que les groupes armés turkmènes en campagne de Lattaquié et au Nord d’Alep.
Les Russes n’ont pas avancé dans leurs tentatives d’isolement de ce duo via le centre de Hmeimim. En dépit d’un regain d’efforts de la part des officiers russes et des services de renseignements militaires russes, ils n’ont réussi qu’à convaincre 48 factions armées selon certaines estimations, et il semble que le nombre des observateurs de la trêve parmi ces groupes, et leur dissimulation, reflète l’échec russe à réaliser une véritable percée, sans surprendre. D’autant qu’Américains, Turcs et Saoudiens ont perturbé l’exécution des décisions de la conférence de Vienne concernant Al-Nosra, considérée comme terroriste, à l’instar de Daech, sans pour autant subir les coups de l’aviation américaine, à l’exception de sa branche « internationale » du groupe Khorassan, qui a fait l’objet de raids à Saramda près d’Alep, contribuant à supprimer en juillet 2015 Mohsen Al-Fadli, chef du groupe, accusé par Washington de demeurer sur la ligne internationale d’Al-Qaïda.
Une percée a semble-t-il été réalisée dans le cadre d’une entente sur Alep. Selon une source russe à Moscou, les Russes auraient informé les Syriens hier du parachèvement d’une entente russo-américaine sur Alep. Et selon ladite source, les Russes ont porté à la connaissance de la partie turque cet accord avec les Etats-Unis sur une politique nouvelle à l’endroit des groupes armés, qui aboutirait à un retour progressif d’Alep sous contrôle de l’armée syrienne, consécutivement à des frappes contre Daech et Al-Nosra autour de la ville. L’échange prévoit un engagement des Russes à ne viser aucun des groupes catégorisés de façon consensuelle par les deux parties comme modérés, en contrepartie d’une participation américaine aux frappes contre Daech et Al-Nosra.
Les Russes ont refusé lors des négociations, une revendication américaine de coordonner toutes les frappes, conditionnant l’exécution de l’accord d’abord et l’entente sur les raids contre Al-Nosra, pour que les Russes cessent de bombarder ceux dont il a été convenu de considérer comme modérés.
De même que les deux pays s’emploient à neutraliser les groupes armés à l’intérieur d’Alep-Est, à qui un délai sera consenti pour s’en retirer. Les Russes ont commencé à envoyer davantage de forces spéciales en campagne d’Alep-Est en prélude à l’exécution de l’accord. A ce propos, des unités russes comprenant 600 soldats des forces russes sont arrivées dans la région d’As-Safira et dans les Usines de défense. Elles ont commencé à transférer davantage d’hélicoptères d’attaque et des aéronefs vers l’aéroport de Kweires, afin d’appuyer les prochaines opérations à Alep.
Les ententes américano-russes concernant Alep et le futur contrôle syrien, se glissent dans les discussions depuis un an sur le nécessaire abandon par les Etats-Unis d’Abou Mohammad Al-Jolani, d’autant que les ententes turco-russes ne suffisent plus, et ne suffiront pas à neutraliser Alep, ou même à ouvrir la voie d’un règlement en Syrie.
La Turquie n’est en effet plus le seul acteur dans le Nord syrien depuis plus de deux ans, avec qui il suffirait de s’entendre, et de fermer les points de passage pour qu’il soit possible à Damas de reprendre le contrôle du Nord. Elle constitue une équation importante, mais son impact a reculé avec le débarquement des Américains eux-mêmes sur le sol syrien, quand les Turcs refusèrent d’intervenir directement comme il leur était demandé les années précédentes, ce qui poussa les Américains à pactiser avec les Kurdes dans le Nord de la Syrie. Et bien que la Turquie soit un acteur de poids, elle ne constitue néanmoins plus le seul qui soit décisif, d’autant que Jabhat Al-Nosra a liquidé les bases de Jabhat Thuwwar Souria à Idlib à la fin du mois de mars dernier, et chassé nombre de ses groupes vers Antioche, s’emparant d’importants stocks s’armes américaines et russes.
De nombreux indicateurs font état d’un élargissement de l’intervention américaine directe dans le Nord de la Syrie, pour que la politique américaine ne demeure pas sujette au refus de Recep Tayyip Erdogan d’intervenir seul en Syrie, après avoir posé comme condition il y a trois ans que des forces spéciales américaines accompagnent les opérations de l’armée turque. Washington s’est donc employé à renforcer sa présence en Syrie, sans passer par les Turcs, et via des transactions passées par les services secrets américains avec la Roumanie, l’Ukraine et la Bulgarie l’année dernière, et au summum de l’engagement russe dans les batailles du Nord. Plus de trois mille tonnes d’équipements et d’armements ont été transférés des ports de la Mer noire en octobre dernier, ainsi qu’en mars derniers via la Jordanie et le port d’Aqaba vers le sud de la Syrie, ou depuis la Turquie vers le Nord syrien. Ces équipements ont restauré les infrastructures des factions armées et regonflé les entrepôts de munitions détruits par les Sukhoï russes entre septembre 2015 et février 2016, permettant ce faisant à Washington d’alimenter sa stratégie d’usure avec la Syrie, la Russie, l’Iran, le Hezbollah et leurs alliés, contenir Daech – et non pas liquider – afin de compléter sa présence en Syrie avec une stratégie d’usure après avoir perdu le contrôle.
Pis encore, les Américains ont débarqué pour occuper, et ont posé des bases aériennes. L’occupation par le biais d’environ 500 conseillers et experts militaires des forces spéciales, en plus des bases aériennes d’Ar-Ramilan et Aïn Al-Arab. Quant à la coalition avec les Kurdes du PKK, elle signifie que les Etats-Unis ne s’appuient plus seulement sur les factions armées officiant depuis l’intérieur turc, et qu’ils sont maintenant capable de mobiliser plus de 20 groupes armés dans le Nord de la Syrie, qui travaillent directement avec les services secrets américains, à l’instar d’Al-Firqa 13 et des éléments d’Ahrar Al-Cham, en particulier la branche politique du mouvement, mais aussi de reliquats de Jabhat Thouwwar Souria.
Poutine a qualifié, lors d’un entretien avec Bloomberg, les pourparlers sur la crise syrienne, de « très difficiles », mais appréciant hautement la contribution du Secrétaire d’Etat John Kerry à dépasser les différends entre Moscou et Washington. Il a ajouté que « nous agissons progressivement dans la bonne direction, et je n’exclue pas de parvenir dans un futur proche à un accord et nous présenterons notre accord à la communauté internationale ».
Il considère également que le discours sur la Syrie ne porte plus sur une lutte interne, car ces organisations terroristes comprennent des combattants étrangers qui reçoivent des armes et des équipements de l’extérieur. Poutine a fait état des efforts conjoints de Moscou et Ankara à parvenir à une entente au sujet des dossiers de la région, dont le dossier syrien, car « il n’est pas possible de prendre des décisions de l’extérieur sur le destin des régimes politiques et le changement de gouvernements », allusion aux revendications sur le départ de M. Assad.
Il a également invité les puissances occidentales à accepter « un changement progressif » en Syrie, au lieu de faire pression pour un départ d’Assad, affirmant : « Faisons preuve de patience et attendons que le changement vienne de l’intérieur du pays ».
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (As-Safir, par Mohammed Ballout, le 03 sept. 2016)