Pour la première fois depuis le début de la guerre, l’armée syrienne mène des campagnes offensives sur plus de dix fronts, d’un seul coup. L’objectif : Jisr Al-Choughour et la route Damas-Hama-Alep. L’aviation russe n’est pas la seule à avoir sécurisé cette impulsion. Une préparation au sol a débuté, avec la « ténacité stratégique » au Sud, et l’institution de la « Quatrième phalange ».
En juin dernier, l’armée syrienne avait perdu le contrôle de la Brigade 52, au nord-est de Deraa. Cette progression réussie des combattants sur le front sud couronna une série de pertes dont furent victime l’armée syrienne et les forces affiliés à Bosra Al-Cham et Palmyre, ainsi que dans le gouvernorat d’Idlib. L’opposition se comportait alors comme si la guerre était tranchée, en refermant l’étau sur la capitale Damas et sur les gouvernorats de Hama, Lattaquié et Tartous.
Certains soutiens des opposants syriens plaisantaient sur des vols aériens entre l’aéroport d’Al-Thaaleh (nord-est de Deraa) et l’aéroport international de Damas. Les groupes armés attaquaient l’aéroport d’Al-Thaaleh, jouxtant le gouvernorat d’Al-Souweïdah. Mais les chefs de l’armée syrienne et des forces affiliées, dans le Sud syrien, surprenaient leurs interlocuteurs qui les questionnaient sur la situation sur le terrain. Ils faisaient montre dans leurs réponses d’une sérénité toute particulière quant aux résultats des batailles, à même de semer la confusion chez l’interlocuteur, qui voyait là un excès de confiance. Un des plus éminents chefs affirmait que « notre bataille dans le Sud est aujourd’hui défensive. Les rebelles ont reçu un important soutien de la part de la chambre d’opérations communes (avec participation des Américains, Français, Britanniques, Saoudiens, Jordaniens, etc., à Amman), pour mener de grandes offensives sur divers axes de combat. Les deux principaux objectifs dessinés pour les rebelles étaient la prise de contrôle de la ville de Deraa et de la route la reliant à Damas ». L’éminent chef militaire affirmait, confiant : « Nos lignes de défense sont solides et ils ne pourrons pas les percer. Ni à Deraa, ni le long de l’autoroute ». Il ajoutait, en réponse aux questions des journalistes : « A cette étape, nous n’attaquerons pas. Nos dernières opérations offensives dans le Sud remontent à février, et nous avions alors réalisé l’objectif escompté, à savoir l’établissement d’une « ligne étanche » empêchant la progression des rebelles en direction de la banlieue sud de la capitale. Mais aujourd’hui, ce qui est demandé n’est autre que de tenir, et d’absorber les attaques des rebelles. Et après leur échec, nous pourrons de nouveau attaquer ».
Le chef militaire prédisait à l’époque une poursuite des attaques de rebelles pour une durée de trois mois. Et en effet, les trois mois passèrent, durant lesquels les rebelles du front sud lancèrent cinq attaques sur la ville de Deraa, et engagèrent plusieurs batailles dans des régions éparses du Sud syrien, sans pour autant réaliser une quelconque progression. Les offensives échouèrent toutes, avec pour résultat une éradication d’une grande partie des principales forces d’assaut des groupes opposants.
Ces derniers jours, l’armée syrienne a lancé des offensives ayant débouché sur la prise de contrôle du quartier d’Al-Manchiyeh, situé au sud de la ville de Deraa et le plus proche de la frontière avec la Jordanie. Elle a ensuite progressé dans les alentours de la ville de Cheikh Miskin (au nord de Deraa), proche de la route Damas-Amman.
A Qouneïtra, la chose fut similaire : les rebelles ont réalisé des percées durant les derniers mois, mais les soldats de l’armée syrienne et des forces affiliées ont tenu, avant de récupérer en grande partie ce qu’elles avaient perdu.
Le cas de la région sud ne ressemble guère à ce qui se passa dans le Nord. Un effondrement s’est opéré dans le gouvernorat d’Idlib, sans signifier pour autant que les chefs militaires ont perdu confiance dans ce qui se prépare pour les jours prochains. Ils reconnaissaient avec difficulté la situation ainsi que le faible nombre (de forces à disposition, ndr). Mais ils assuraient dans le même temps que les réalisations des rebelles depuis le mois de mars dernier ne se poursuivront pas, et que quelque chose est en préparation, qui sera une surprise à même de renverser la vapeur à la face des rebelles et de leurs soutiens. Personne ne faisait allusion à l’idée d’une intervention directe russe. Il s’avéra par la suite que des négociations s’effectuaient entre Damas, Moscou et Téhéran dans le plus grand secret, pour apporter des renforts à l’armée syrienne dans un large processus d’enrôlement de groupes de combattants spéciaux, intitulés plus tard « la Quatrième phalange d’assaut ». Des mécanismes de recrutement ont été mis en place pour assimiler les déserteurs de l’armée, les retardataires du service militaire, ceux désireux de combattre uniquement dans leurs villes et villages, ou ceux désireux de s’enrôler dans les rangs de l’armée syrienne pour combattre en première ligne. A cela s’ajoute la résolution de nombreux problèmes dont souffrait l’armée à divers moments de la guerre, comme l’amenuisement de certaines sortes de munitions et d’armes. Les avions russes sont arrivés chargés d’une partie du fardeau sans précédent qui pesait sur les épaules des pilotes syriens, leurs avions, leurs équipages et leur maintien, avec toutes les pièces détachées et les coûts en entretien et en carburant dont ils avaient besoin. Et ce, sans oublier la grande différence au niveau de sophistication entre les avions de l’armée de l’air syrienne et ceux de l’armée de l’air russe. Les raids russes ont apporté une arme aérienne de grande qualité à l’armée syrienne, qui se préparait, au sol, à des opérations d’un style nouveau. Il convient ici de s’arrêter sur deux choses.
Premièrement, l’armée syrienne et les forces affiliées, ont pu, après leur « ténacité stratégique » au sud, reprendre l’initiative offensive dans les gouvernorats de Deraa et Qouneïtra, où les avions russes ne leurs fournissent pas de couverture aérienne.
Deuxièmement, le front septentrional, plus large que le front méridional, et où le poids d’Al-Qaïda et ses alliés font leur effet, avait besoin d’une couverture aérienne pour une opération menée par l’armée syrienne et les forces affiliée, d’une envergure inhabituelle pour les rebelles. Les opérations militaires offensives comprennent donc aujourd’hui plus de dix axes de combats principaux : Lattaquié, Sahl Al-Ghab, l’axe Morek-Kafer Zita-Khan Cheikhoun-Kafer Nboudeh dans la campagne septentrionale de Hama, la campagne méridionale d’Alep, la campagne septentrionale d’Alep, la campagne orientale d’Alep, l’axe Al-Sfireh-Koueïres en confrontation avec Daech. Et pour la première fois, l’armée engage un grand nombre de batailles en une seule fois, en plus des offensives lancées en campagne septentrionale de Homs et dans la Ghouta orientale, et des trois axes de combats à Deraa et Qouneïtra. Et ce, alors que la bataille défensive – qui met en échec les assauts de Daech sur l’aéroport de Deir Ez-Zor et ses alentours – continue.
En février dernier, l’armée syrienne s’est activé à ouvrir bon nombre de fronts d’un seul coup à Lattaquié, dans la campagne Nord d’Alep et dans le triangle Qouneïtra-Deraa-campagne de Damas, en ajoutant un front de diversion près de Sahl Al-Rouj à Idlib. Elle a réalisé une avancée sur les deux premiers fronts et exécuta entièrement son plan sur le troisième. Mais le niveau de préparation des forces et l’incapacité à ouvrir des fronts supplémentaires ne permirent guère de réaliser davantage de progrès. Et après l’absorption de la poussée des rebelles dans le Sud, et le retrait à Palmyre et Idlib, l’armée revint à la charge, selon la méthode des fronts multiples, à grande échelle et de façon plus efficace. Cette méthode a provoqué un éparpillement des forces rebelles, avec des coups particulièrement durs portés par l’armée de l’air russe sur leurs dépôts d’armes, leurs camps, leurs quartiers généraux et leurs routes d’approvisionnement.
Les opérations dans le nord visent à réaliser trois objectifs dans la première étape : reprendre le contrôle de Jisr Al-Choughour, récupérer la route Hama-Alep, et élargir la mainmise de l’armée dans la campagne orientale d’Alep au détriment de Daech (ce qui implique de briser le siège de l’aéroport de Kweïres, encerclé par l’organisation). La réalisation de ces objectifs passe par des préliminaires sur le terrain, et les conséquences qui s’en suivent : la libération des régions de la campagne de Lattaquié et de Hamas, par exemple, est actuellement opérée pour ensuite se diriger vers Jisr Al-Choughour. Dans le cas où l’objectif est atteint, l’armée sera contrainte de sécuriser des régions aux abords de Jisr Al-Choughour afin d’empêcher une reprise de contrôle de la ville par les rebelles.
Les capacités défensives des rebelles sont très variables sur le terrain. Sur certains sites, des groupes armés se sont effondrés et ont fui le champ de bataille, tandis que d’autres groupes combattent avec opiniâtreté, en prenant en compte le fait qu’ils perdront des régions qu’il leur sera impossible de reprendre, et que les batailles ont des répercussions politiques directes, au danger dont les parrains des combattants armés prennent pleinement conscience.
Pour les officiels syriens, l’ouverture de ces fronts n’a pas été une aventure aux conséquences non-calculées. Des sources bien informées de ce qui se trame entre Damas et les forces alliées, assurent que les Russes, les Syriens, les Iraniens et leurs alliés prévoient que les pays soutenant les combattants armés (rebelles, ndr), leur apportent tout le soutien possible. Mais l’armée et ses alliés prennent cela en compte et pensent qu’il ne constituera guère un obstacle à même d’empêcher une progression vers Idlib et Alep. De même que certains cercles de décisions parient sur ce que produira cette progression, avec les réconciliations qu’elle pourra impliquer, particulièrement dans la campagne de Damas, Deraa et Qouneitra. Selon des sources syriennes et d’autres onusiennes, les canaux de communication ont été activés entre les notables de plusieurs villes et les comités de réconciliation en campagne de Damas et de Deraa ces derniers jours, sans signifier pour autant qu’ils réaliseront rapidement les objectifs escomptés.
Les batailles en cours dans le Nord syrien montrent, en définitive, une armée syrienne au sang neuf, capable de sortir du surplace défensif au Sud et de sa situation de retrait dans le Nord, pour engager plus de dix grandes offensives d’un seul coup.
Cet article a été traduit et édité par Syria Intelligence (Al-Akhbar, par Hussein Aliq, le 19 octobre 2015)